1/ Pourquoi le maillot jaune est-il jaune ?
Il n'y a pas de certitude absolue à ce sujet. Mais parmi toutes
les hypothèses qui ont circulé, la plus probable et la plus communément
admise est celle-ci: si le maillot de leader du tour est jaune, c'est
parce qu'il s'agissait des couleurs du journal L'Auto,
organisateur du Tour de France, dont Henri Desgrange était le rédacteur
en chef, en même temps que le patron de la Grande Boucle. Le maillot
rose du Giro sera rose pour les mêmes raisons: c'est la couleur du
fameux quotidien sportif milanais, la Gazzetta dello Sport,
intégralement rose de la première à la dernière page. Le coup de génie
du maillot jaune, c'est d'avoir donné un enjeu supplémentaire à chaque
étape. Auparavant, la tête du général avait surtout du sens à l'approche
de la fin du Tour. Une fois le maillot jaune bien ancré dans les
esprits comme un trophée à part entière, la première place devint un
enjeu quotidien. Avant cela, le seul signe distinctif du leader du
classement général était... un brassard vert. Rien à voir donc.
_______________________________________________________
2/ Qui a son nom brodé sur le maillot jaune ?
Ce n'est autre que le créateur du Tour de France, Henri
Desgrange, qui en fut aussi le principal dirigeant jusqu'en 1939. Après
la Guerre, le journal L'Auto disparait. L'Equipe reprend
le flambeau, comme Jacques Goddet reprend l'héritage d'Henri Desgrange à
la tête du Tour de France. Afin de montrer qu'il place ses pas dans
ceux de son illustre prédécesseur, Goddet décide en 1948 de faire broder
le nom de Desgrange sur le maillot jaune. Le nom, ou plutôt les
initiales "HD", la broderie coûtant alors trop cher sur les maillots en
laine de l'époque pour envisager d'aller au-delà de ces deux lettres
symboliques. 65 ans après, aujourd'hui encore, les initiales du
patriarche de la Grande Boucle trônent toujours sur le maillot. Pas sûr
que tous ses porteurs sachent toujours à quoi elles font référence…
_______________________________________________________
3/ Qui a porté le premier maillot jaune et quand ?
C'était un samedi. Le 19 juillet 1919. A Grenoble, au départ de
la 11e étape, Eugène Christophe entre dans l'histoire du Tour en
endossant le tout premier maillot jaune. Le "Vieux Gaulois", comme il
était surnommé, aurait dû arborer le maillot jaune quatre jours plus
tôt, le 15 juillet, lors de l'étape Marseille-Nice. Mais celui-ci
n'était pas encore confectionné. Heureusement pour lui, Christophe
l'avait encore à Grenoble. Enfin, heureusement, ce n'est pas forcément
ce qu'il se disait alors. Surnommé "Le Canari" par ses collègues, Eugène
Christophe a d'abord suscité plus de risée que d'envie. Ça n'allait pas
durer…
Voilà donc l'histoire officielle. Car il y a une histoire
officieuse. Philippe Thys, triple vainqueur du Tour en 1913, 14 et 20, a
confié bien plus tard, en 1953, qu'il avait porté le maillot jaune une
journée en... 1913 et une autre en 1914. Comme l'a écrit Pierre Chany
dans La Fabuleuse histoire du Tour, Thys, alors âgé de 67 ans,
avait toute sa tête. Mais aucun journal de l'époque ne fait mention de
ce maillot. Henri Desgrange, le patron du Tour, aurait-il tenté une
expérience en 1913 et en 1914 avec l'idée de le pérenniser en 1915?
Personne ne peut l'affirmer. Ce qui est certain, c’est qu'en 1915, il
n'y eut pas de Tour. Au regard de l'histoire, Eugène Christophe reste
donc le premier maillot jaune.
_______________________________________________________
4/ Combien de coureurs ont porté le maillot jaune ?
255, d'Eugène Christophe à Christopher Froome, le dernier en
date. Près d'une centaine ne l'ont porté qu'un ou deux jours. Au-delà
de dix jours en jaune, on entre dans cercle déjà fermé puisque seuls 50
coureurs ont atteint ce total dans leur carrière. 19 coureurs ont reçu
au moins vingt maillots jaunes. Parmi eux, seuls trois coureurs n'ont
pas gagné le Tour: Fabian Cancellara (28 jours en jaune), René Vietto
(26) et Thomas Voeckler (20). On trouve aux quatre premières places les
quatre quintuples vainqueurs de l'histoire du Tour, avec Eddy Merckx en
recordman absolu. Le Cannibale a porté 96 fois le maillot jaune, 21 de
plus que son dauphin, Bernard Hinault. Lance Armstrong a été rayé des
statistiques officielles, mais l'Américain l'avait porté à 83 reprises,
ce qui en avait fait le dauphin de Merckx.
_______________________________________________________
5/ Y a-t-il déjà eu plusieurs maillots jaunes en même temps ?
Oui. La chose est rarissime. Le cas s'est présenté pour la
première fois en 1929, dix ans après la création du maillot jaune. Et ce
ne sont pas deux, mais trois coureurs qui ont disputé l'étape
Bordeaux-Bayonne, le 7 juillet, avec le maillot jaune sur le dos. La
veille, Victor Fontan, Nicolas Frantz et André Leducq partageaient la
tête du classement général, à égalité de temps. Henri Desgrange, le
patron du Tour, n'avait pas voulu trancher entre eux. Il y aurait donc
trois hommes en jaune ! Aujourd'hui, ce cas de figure n'est plus
possible avec les dixièmes de seconde dans les chronos et/ou les places
des uns et des autres dans les différentes arrivées d'étape, ce dernier
élément n'entrant à l'époque pas en ligne de compte pour départager les
éventuels ex aequo. Le lendemain, le problème fut réglé: Gaston Rebry, à
l'issue d'une échappée, s'empara de la précieuse tunique. Le trio doré
n'était alors plus à égalité que pour la deuxième place. Deux ans plus
tard, pour la dernière fois, il y eut deux maillots jaunes
simultanément, Charles Pélissier et Raffaele Di Paco. Depuis, on trouve
toujours le moyen de départager les coureurs.
_______________________________________________________
6/ Qui l'a porté le moins longtemps ?
Tout le monde n'a pas la chance de porter deux fois dix jours le
maillot jaune, comme Thomas Voeckler. Pour certains, le "règne" est
nettement moins long. 65 coureurs n'ont gardé le maillot qu'une petite
journée. C'est peu. Parmi eux, les moins chanceux sont ceux pour qui
cette journée était un contre-la-montre. Le plaisir, pour un maillot
jaune, c’est de parader dans le peloton, d'être la figure
reconnaissable. Seul sur la route, cela perd de son charme. Jean-René Bernaudeau
a ainsi porté son unique toison d'or lors du chrono de Superbagnères,
en 1979. Une petite heure d'efforts. Mais la palme revient à Romain
Feillu, en 2008. Après avoir pris le maillot à Nantes, il l'a rendu le
lendemain à Cholet au terme d'un contre-la-montre bouclé en 40 minutes à
peine. Dur. Mais il y a pire. Ceux qui ont cru l'avoir, sans jamais
pouvoir le porter en course. Michel Pollentier, par exemple, maillot
jaune à l'Alpe d'Huez en 1978 avant d'être exclu de la course quelques
minutes après pour tricherie manifeste au contrôle antidopage. Plus
insolite encore, le cas de Ferdie Van den Haute en 1984. Le Belge
remporte la demi-étape de Béthune, après le chrono par équipes matinal.
Les organisateurs lui font endosser le maillot jaune sur le podium avant
de réaliser, dix minutes plus tard, que celui-ci revient en réalité à
Adrie Van der Poel. Dommage Ferdie…
_______________________________________________________
7/ Pourquoi Louison Bobet a-t-il failli partir deux fois sans maillot jaune ?
C'est une de ces toutes petites histoires qui forgent la
savoureuse légende du Tour. En 1954, Louison Bobet, tenant du titre,
s'empare du maillot jaune lors du chrono par équipes aux Essarts. A
Saint-Brieuc, trois jours plus tard, il le porte toujours. Voulant faire
plaisir à sa sœur, le Breton lui offre sa tunique dorée. Une boulette.
Bobet a oublié que sur cette édition, l'organisation a décidé de ne
changer le maillot jaune que toutes les 48 heures et non tous les jours.
Panique à bord le lendemain matin: Bobet n'a pas de maillot.
Heureusement, son soigneur personnel, Raymond Le Bert, habite non loin
de Saint-Brieuc. Il possède un maillot jaune chez lui. Il va le chercher
mais celui-ci a rétréci avec le temps et s'avère beaucoup trop petit
pour Bobet.
Il faudra finalement faire appel à un… boxeur trouvé dans un
gymnase de Saint-Brieuc pour élargir la tunique. Voilà comment, in
extremis, Bobet a pu partir avec un maillot jaune plus vraiment jaune et
pas tout à fait à sa taille. Mais un maillot quand même. Six ans
auparavant, en 1948, Bobet avait déjà failli prendre le départ sans son
maillot jaune. C'était alors pour une question de... matière. le maillot
jaune était en laine mais Jacques Goddet venait de signer un contrat
avec une nouvelle marque proposant un maillot synthétique. Bobet,
furieux, très conservateur sur ce point, n'a rien voulu entendre. Il
menaçait de ne pas prendre le départ si on ne lui laissait pas son
maillot en laine. Après des heures de discussion, Bobet resta ferme.
Goddet dût céder et faire confectionner en urgence un nouveau maillot en
laine.
_______________________________________________________
8/ Est-il fréquent de quitter le Tour avec le maillot jaune ?
Non, c'est extrêmement rare. Il faut un cas de force majeure
absolue pour renoncer au Tour avec le maillot jaune sur les épaules.
Depuis 1919, on ne dénombre que 14 cas de maillot jaune ayant quitté le
Tour. Le dernier était Michael Rasmussen,
en 2007. Un départ forcé, puisque le Danois avait été retiré par sa
propre équipe, Rabobank, suite à un défaut de localisation pour un
contrôle antidopage avant le Tour. En 1978, Michel Pollentier avait été
exclu de la course pour avoir été pris en flagrant délit de tricherie au
contrôle antidopage à l'Alpe d'Huez. En 1950, Fiorenzo Magni et les
Italiens s'étaient retirés, s'estimant en insécurité auprès des
spectateurs français. Mais dans la grande majorité des cas, ce sont des
blessures, des chutes ou une maladie qui obligent le maillot jaune à
renoncer. Parmi les plus célèbres, on citera Luis Ocana, tombé dans la
descente détrempée du col de Menté en 1971 (photo), l'abandon de Bernard
Hinault à cause de son genou lors de la journée de repos en 1980 ou
l'omoplate meurtrie de Pascal Simon trois ans plus tard. Dans tous les
cas, c'est une déchirure. Porter le maillot jaune, c'est être le roi. Un
statut difficile à délaisser…
_______________________________________________________
9/ Qui est le plus grand poissard du maillot jaune ?
255 coureurs ont donc porté au moins une fois le maillot jaune.
Pourtant, des champions parfois très huppés, qui ont laissé une
empreinte dans l'histoire du cyclisme et celle du Tour en particulier,
n'ont jamais réussi à l'endosser, ne serait-ce qu'une petite journée.
Hennie Kuipper, 2e du Tour en 1977 et 1980, 4e en 1978, n'a jamais eu
les honneurs du maillot jaune. Idem pour Gianni Bugno, 2e en 1991 et 3e
en 1992. Ils font partie des rares coureurs présents plusieurs fois sur
le podium final sans avoir goûté au jaune. Le recordman en la matière
est évidemment Raymond Poulidor: huit podiums (un record) et 11 Top 10
et pas une seule petite journée avec le maillot jaune. Presque
invraisemblable. Lors du prologue 1973, il ne lui manqua que… huit
dixièmes de seconde.
_______________________________________________________
10/Combien de coureurs ont perdu le maillot jaune le dernier jour ?
Seulement trois depuis 1919, ce qui confère à ces trois hommes
un statut de maudit et à ces trois éditions un caractère exceptionnel.
Le premier changement de maillot jaune date de 1947 et c'est aussi la
seule fois qu'il s'est produit lors d'une étape en ligne. Jean Robic,
via sa fameuse attaque dans la non moins fameuse côte de Bonsecours,
avait dépossédé le malheureux Pierre Brambilla de la précieuse tunique
en arrivant à Paris. Les deux autres basculements le dernier jour sont
survenus sur deux chronos, en 1968 et 1989. Jan Janssen et Greg LeMond
furent les heureux élus. Herman Van Springel et Laurent Fignon (photo)
les rois maudits. Rendre un maillot jaune, c'est une blessure, mais le
perdre en arrivant à Paris, c'est une plaie qui ne cicatrise jamais.